Reclassement d'une fiction offerte à Homer l'an passé.
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de: Steven S. DeKnight Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Si tu ne me revenais pas
Nasir sortit de la tente de Spartacus et se dirigea vers celle de Medicus pour accomplir la tâche demandée par le général des armées rebelles. Il accomplissait sa tâche de son mieux, comme à son habitude, pourtant, tandis qu’il oeuvrait, son âme, son cœur, son esprit étaient bien loin de là, à côté de son amour qui lui manquait, jour après jour, au point que parfois il se sentait étouffer, désoeuvré, inutile malgré toutes les responsabilités qui lui incombaient.
Crixus et Agron partis, Spartacus n’avait plus que Ganicus et lui comme « généraux » et l’un comme l’autre faisaient de leur mieux pour seconder le faiseur de pluie dans sa quête de l’impossible.
Mais seuls les dieux savaient combien parfois c’était difficile !
Si tu ne me revenais pas,
Bien sûr, je poursuivrais ma route
Je connais la peur et le doute,
Mais où me mèneraient mes pas
Si tu ne me revenais pas?
Il voulait croire, croire en dépit de tout, en dépit des oracles, des présages et des pythies de l’univers. Il voulait penser qu’un jour son Germain lui reviendrait. Il imaginait ses yeux bleus rieurs qui se fixaient aux siens, ses cheveux blonds resplendissant dans le soleil et il sentait ses bras se refermer sur lui…
Parfois la nuit, il avait l’impression qu’il était là, et son corps se tendait vers lui, s’abreuvait à son contact, son flot s’écoulait au plaisir qui fusait dans ses veines et il était heureux. Et puis au matin toujours la désillusion, la couche froide et déserte et son corps las qu’il s’efforçait de bouger parce qu’il n’avait pas le droit de s’effondrer : trop de personnes comptaient sur lui.
Pourtant qu’elle était longue cette attente immobile !
Et j´aurais attendu pourquoi
Tout ce temps que tu me reviennes?
Ces jours qui furent des semaines
Ces semaines qui furent des mois
Si tu ne me revenais pas.
Parfois il était en colère, refusant de comprendre pourquoi Agron était parti avec Crixus auquel il s’était si souvent opposé, jusqu’à se battre avec lui. Ne lui suffisait-il pas de vivre auprès de l’homme qu’il aimait, cet homme dont il avait fait un guerrier, dont il disait être fier et amoureux ? Bien sûr il n’était pas, ne serait jamais sans doute, un fermier, un artisan, un commerçant… Mais ne pouvait-il pas se contenter d’aimer et d’être aimé ?
Pourquoi avait-il voulu partir vers d’autres chimères, vers un destin impossible ? Croyait-il vraiment qu’une armée de va-nu-pieds pourrait ébranler la puissance de Rome, leur implacable ennemi ?
Est-ce que son amour ne pouvait lui suffire ?
Comment faut-il te l´expliquer?
Je t´aime!
Et je le crie au monde entier:
Je t´aime!
Parfois il était juste triste, immensément, intolérablement…
Il repassait en boucle leurs souvenirs heureux et malheureux, leurs combats, leurs victoires, leurs échecs… Les visages de leurs compagnons tombés au cours de la lutte s’inscrivaient dans son esprit et immanquablement le beau visage de son amour finissait par s’imposer parmi ceux qui défilaient, comme si déjà il lui faisait signe de l’au-delà.
Il revoyait cette première rencontre, ces regards d’Agron sur lui tandis qu’il regardait ceux qui avaient envahi la villa où il pensait avoir atteint une position sans égale auprès de ce maître qu’ils avaient tué. Il se remémorait la haine qui brûlait en lui alors pour ces sauvages, lui qui portait des chaînes depuis si longtemps qu’il avait oublié qu’on pouvait vivre sans et qui les voyait, eux, comme des sauvages dont la lutte était illégitime.
Il savait très bien qu’Agron n’avait pas plaidé sa cause alors, qu’il s’était, cette fois-là encore, rangé aux côtés de Crixus qui voulait le faire exécuter : son amant ne lui avait rien caché de cette conversation qu’ils avaient eu avec Spartacus qui seul avait défendu sa vie. Il ne lui en voulait pas : à cette époque, le Germain ne savait rien de lui, sauf qu’il avait tenté de tuer celui qui lui avait rendu une liberté dont il ne savait que faire.
Et puis, petit à petit, ils s’étaient rapprochés, avaient parlé de leurs frères disparus, ce premier lien entre eux, ce souvenir si fort qui l’avait conduit à lui révéler ce nom qu’il n’utilisait plus depuis si longtemps qu’il l’avait presque oublié. Ce jour-là il était redevenu Nasir, ce jour-là il avait fait le choix de la liberté et de l’amour.
Et aujourd’hui, il ne lui restait que l’espoir que ses sentiments seraient assez fort pour ramener près de lui l’homme qu’il aimait.
Si tu ne me revenais pas,
Bien sûr, j´irais coûte que coûte
J´ai suivi tant et tant de routes,
Commis tant et tant de faux pas
Que tout peut arriver sans toi.
Colère, tristesse, incompréhension… Tour à tour ces sentiments l’agitaient, le soulevaient, le faisaient avancer ou l’accablaient. Mais il n’avait pas le temps de s’attarder sur lui, sur ce que serait son avenir sans Agron.
Il voulait croire et espérer, il voulait penser que le miracle s’accomplirait, que les dieux qui leur avaient été favorables voyaient d’un bon œil leur combat et leur apporterait la victoire qu’il méritait.
Il lui arrivait cependant de penser qu’il payait les erreurs commises, sa lâcheté, sa soumission, sa bêtise… Il y avait tant de choses dans son passé dont il ne pouvait être fier, tant de choses qu’il n’aurait pas dû accomplir et que pourtant à l’époque il avait faites sans hésiter, sans réfléchir, abêti qu’il était pas ces années d’esclavage qui avaient fait de lui rien de plus qu’un animal savant bien dressé qui remuait la queue sur ordre, ou plutôt qui la fourrait dans le cul de son maître, corrigeait-il trivialement.
Mais pouvait-on lui en vouloir d’avoir tenté de se faire la seule place qui lui paraissait possible pour vivre moins mal ? Pouvait-on vraiment le punir de cela ? Ses erreurs passées seraient-elles payées au prix fort par celui qui était toute sa vie ?
N´importe qui, n´importe quoi
Qui n´a jamais terni sa route
Me jette la pierre du doute,
Me jette le premier pourquoi
Tu vois, je m´égare déjà.
Les jours succédaient aux jours dans la même monotonie : ils protégeaient les femmes, les enfants, les vieillards, les blessés, les éclopés… Ils s’entraînaient aussi, sachant que si Crixus, Naevia et Agron échouaient, un jour les légions seraient face à eux, et qu’importerait alors pour elles s’ils n’étaient qu’une poignée de combattants.
Il savait déjà qu’il ne se rendrait pas, qu’il ne retournerait pas de son plein gré dans les fers qu’on avait ôté de son cœur… De toute façon il était conscient qu’on ne lui proposerait même pas cette alternative : l’échec ce serait la mort et chacun dans le camp en était conscient.
C’est pourquoi il aurait tant aimé qu’Agron soit là, pour pouvoir lui dire et lui redire les mots qui se bousculaient dans sa tête, lui prouver combien il l’aimait tant qu’il le pouvait, tant qu’ils en avaient le temps.
Comment faut-il te le crier?
Je t´aime!
Et je me fous du monde entier:
Je t´aime!
Il lui arrivait de se rendre sur la colline à quelques encablures du camp et là il hurlait son amour en espérant que le vent porterait ses mots jusqu’aux oreilles de son compagnon, que celui-ci entendrait son chagrin et lui reviendrait. Il avait besoin de son sourire, de son rire, de son corps, il avait besoin d’entendre sa voix, de sentir sa peau contre la sienne, de boire son nectar, de se repaître de son odeur…
Jour après jour il accomplissait ses tâches, comme un automate, comme si son corps était une enveloppe vide. Il tenait par fidélité à Spartacus, il tenait parce qu’il l’avait promis à Agron, il tenait parce qu’il n’avait pas le droit de s’effondrer. Et il savait que si un jour la nouvelle de la mort de son amant l’atteignait, il tiendrait encore, parce qu’on avait besoin de lui. Mais dès lors, il n’aspirerait plus qu’à le rejoindre parce que sans lui sa vie était vide de but.
Si tu ne me revenais pas,
Bien sûr, je poursuivrais ma route
Je connais la peur et le doute,
Mais où me mèneraient mes pas
Si tu ne me revenais pas?
Il était là, dans ses bras, abîmé, blessé, souffrant, dévasté…
Mais il était là et jamais plus il ne le laisserait partir loin de lui, jamais plus.
Nasir resserra son étreinte sur ce compagnon qu’il avait cru mort et que les dieux, dans leur grande mansuétude, lui avaient renvoyé : « Plus jamais je ne te laisserai me quitter, murmura-t-il à son oreille. Sans toi, je ne suis rien. »
FIN
Chanson d’Alain Barrière