La chanson ne m'appartient pas et je ne tire aucun profit de son utilisation dans cette songfic
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iciJe cours
(Chanson de Kyo)
Assise au volant de ma voiture, j'allume la radio, par automatisme comme à chaque fois. Je n'écoute jamais vraiment mais ça fait un bruit de fond qui couvre le silence parfois trop oppressant qui m'entoure quotidiennement. Une chanson passe, mon attention est attirée....Les paroles......Elles résonnent en moi, me ramenant des années en arrière. J'aurais pu les prononcer il y a longtemps et une chose est sûre, je les vivais, peut-être même que je les vis encore.
Fais moi de la place
Juste un peu de place
Pour ne pas qu'on m'efface
J'n'ai pas trop d'amis
Regarder en classe
C'est pas l'extase
J'ai beaucoup d'espace
Je suis seul et personne à qui le dire
C'est pas le pire
Quand la pause arrive
Je n'suis pas tranquille
Il faut que je m'ecclipse
Ou alors, accuser le coup
Où dehors ...
Tout me revient. La boule au ventre en attendant le bus, seule dans mon coin alors que plusieurs jeunes de mon âge, allant au même endroit que moi se saluaient et se racontaient le film de la veille ou les projets qu'ils avaient pour la journée. J'écoutais leurs conversations en ayant même l'impression de les espionner. Après tout, ils ne me parlaient pas. Je ne faisais pas partie de leur groupe ni d'aucun autre d'ailleurs. Cela ne se faisait donc pas d'écouter. J'apprenais des choses qui parfois ne me regardait sans doute pas. Avec le temps, mon oreille s'était aiguisée et même à distance je pouvais suivre aisément leurs conversations. Spectatrice de leur vie alors que la mienne était complètement invisible à leurs yeux. Invisible ou inexistante? Avais-je une vie ou ne faisais-je que survivre? Mon corps fonctionnait normalement mais était-ce suffisant pour se déclarer en vie? Une vie n'était-ce pas surtout des contacts? Des joies? Des souvenirs? Qu'avais-je moi comme souvenirs si ne ce n'est les leurs? Il ne m'arrivait jamais rien de suffisamment inhabituel que pour en faire un souvenir. Les journées se succédaient avec la régularité d'un métronome: le lever, le départ à l'école, les cours, le retour, les devoirs, les programmes télés, le souper, la douche, à nouveau la télé et le coucher et le lendemain ça recommençait. Jamais un écart, jamais un imprévu, jamais un grain de sable venant perturber cette routine. Les seuls changements qui intervenait c'était la déprogrammation d'une série ou d'une émission et le remplacement par une autre.
Faudra que je cours
Tous les jours
Faudra-t-il que je cours
Jusqu'au bout
Courir.........Courir loin de cette existence. Courir loin de tout et de tous pour ne plus penser à la différence qui est la mienne. Différence invisible et sans doute pas remarquée mais ô combien ressentie. Je ne me sens pas comme eux. Je n'éprouve pas les mêmes joies faces aux choses qui semblent les réjouir. Tout ce que je ressens c'est cette boule au ventre quand je ne suis pas seule dans ma chambre et qui grossit chaque fois qu'un regard est posé sur moi ou pire, lorsqu'on m'adresse la parole : réponds, trouve quelque chose à dire, pourquoi te parlent-ils ? Que te veulent-ils ? Ne montre pas ton angoisse. Fais comme si leur parler, leur répondre était quelque chose de normal. D'ailleurs ça devrait l'être : deux individus côtoyant les mêmes lieux chaque jour se parlent, échangent, parfois même créent des liens. Mais ces liens je n'arrive pas à les nouer réellement, alors je fais semblant et les noeuds serrant les liens avec les autres sont coulants. Ils ne lient pas vraiment et il suffit de tirer un peu sur l'un des bouts pour qu'il se défasse. Je joue à quelqu'un que je ne suis pas. La fille que je joue, je la trouve idiote, sans intérêt, ennuyeuse et c'est donc comme ça que les autres doivent me voir. J'ai parfois envie de hurler en me sentant prisonnière de ce costume et de ce masque qui pèse de plus en plus lourd.
Je n'ai plus de souffle
Je veux que l'on m'écoute
Plus de doutes
Pour m'en sortir
Je dois tenir et construire
Mon futur
Partir à la conquête
D'un vie moins dure
Sûr que c'est pas gagné
Mais j'assure mes arrières
Pour connaître l'amour
Et le monde ...
Le futur, cette promesse d'une vie différente et enfin en adéquation avec la personne que je suis. A l'époque, je fonde tous mes espoirs dessus. Je crois que la délivrance finira par arriver et qu'un jour, moi aussi je serai normale. Alors qu'à cet âge, beaucoup rêvent d'une vie extraordinaire, ont des rêves plein la tête. Moi je n'aspire qu'à une vie on ne peut plus banale et normale. Etre comme tout le monde alors que d'autres cherchent sans arrêt à être différent, à être mieux, à être remarqué. Tout ça je n'en veux pas. Ce que je veux, c'est avoir envie de continuer à vivre et à l'époque, la perspective d'avoir un avenir différent de mon présent suffit encore à le faire. Mais pour combien de temps encore ? A ce moment, je ne sais toujours pas que rien ne changera, que je ne trouverai jamais l'intérêt de la vie sur la mort ? Je me pose pourtant déjà la question : « Qu'ai-je en plus en étant vivante que je n'aurais en étant morte ? » Rien. A part la présence de cette boule qui grossit d'années en années à mesure que je prends conscience que rien ne change.
Faudra que je cours
Tous les jours
Faudra-t-il que je cours
Jusqu'au bout
Pour connaître le monde
Et l'amour
Il faudra que je cours
Tous les jours
Les années passent et la seule chose qui commence à changer c'est l'image que je donne. J'arrive mieux à parler ou du moins à faire semblant que ça ne me pose pas autant de problèmes qu'avant. Faire semblant est devenu une seconde nature. Un sourire de façade, alors que j'ai envie de pleurer à chaque seconde. Bien sûr, je ne peux pas mentir sur la réalité de ma vie et sur la solitude qui m'entoure alors la solution est de faire semblant que ça me plaît et que c'est un choix. Pour ne pas qu'on m'approche et qu'on réveille cette angoisse qui m'étrangle à chaque fois qu'on essaie de franchir les barrières de sécurité dont je me suis entourée, je mens. Je raconte que je déteste tout et que par conséquent, je suis bien mieux chez moi. Que les sorties au cinéma ou tout simplement pour boire en verre ne m'intéressent pas et me saoulent même. Mais au fond ce n'est pas ça, c'est l'angoisse de sortir, d'être entourée qui me freine et pas cet absence d'intérêt. Ça en est devenu un cercle vicieux, je suis enlisée dans les mensonges de cette vie que je me suis inventée. Celle du bien-être d'être seule sans aucune attache amicale ou autre. Cette apologie de la solitude a pourtant un goût amer quand je referme la porte de chez moi et que les larmes retenues toutes la journée coulent enfin. Mais si c'est le mal-être d'être au contact des autres qui les a créés, c'est le mal-être de voir ma vie stagner et toujours au point mort qui les fait rouler sur mes joues.
J'voudrais m'arrêter
J'peux plus respirer
Dans ce monde parmi vous
J'voudrais m'arrêter
J'peux plus respirer
Dans ce monde parmi vous
J'voudrais m'arrêter
J'peux plus respirer
Dans ce monde parmi vous
J'voudrais m'arrêter
J'peux plus respirer
Dans ce monde parmi vous
Ne plus respirer, s'arrêter de faire semblant, arrêter tout, tout simplement. J'ai trente-quatre ans et cette idée a commencé à germer en moi il y a un peu moins de vingt ans. Mais si je n'ai jamais réussi à respirer à plein poumons en étant moi, je n'ai jamais non plus réussi à faire tout cesser définitivement.
Oppressée par la solitude et angoissée par son contraire. La voie de ma vie est sans issue des deux côtés. Jean-Jacques Goldman racontait l'histoire d'une femme vivant sa vie par procuration devant son poste de télévision. C'est la seule solution alternative que j'ai trouvé jusqu'à présent. Vivre par procuration à travers un écran, un clavier, des histoires qui appartiennent à d'autres et dans lesquelles j'essaie de me projeter.
Vers vingt ans, une lueur est enfin venue éclairer l'obscurité de mon existence : Internet. J'allais enfin pouvoir peut-être tisser des liens, parler ou plutôt écrire sans être freinée par cette boule invisible qui se rappelait à moi quand je devais le faire dans la vraie vie. Cette lumière, bien qu'artificielle m'a apporté une bouffé d'oxygène l'espace de quelques années. Mais peu à peu, la personne que je fais semblant d'être au quotidien a tellement gommé et effacé celle que je suis vraiment que même dans le monde virtuel, elle se montre présente. Alors que j'avais espéré trouver sur la toile, un endroit, où je pourrais être moi et dire ce que je pense, je me suis rendu compte que je ne le faisais pas. Là aussi, je finissais par dire ce que la personne que je fais semblant d'être, pensait. Je suis devenue prisonnière de mon masque, il m'empêche autant que la boule d'angoisse toujours présente, de respirer et d'être moi et je sais qu'il est trop tard à présent pour tenter de l'enlever. Il me colle trop à la peau. Parfois je finis même par me demander si je ne suis pas réellement devenue cette personne que je fais semblant d'être. Mais non, définitivement non. Je ne partage pas sa vision des choses. Si ce costume m'a permis d'avancer, il est à présent aussi lourd à porter que les chaines qu'il m'a pourtant aidé à porter toutes ces années.
Faudra que je cours
Tous les jours
Faudra-t-il que je cours
Jusqu'au bout
Pour connaître le monde
Et l'amour
Il faudra que je cours
Tous les jours
Fais moi de la place
Juste un peu de place
Pour ne pas qu'on m'efface
Fais moi de la place
Juste un peu de place
Pour ne pas qu'on m'efface
Fais moi de la place
Cette place, l'aurais-je un jour ? Ou devrais-je pour citer Henry David Thoreau « découvrir quand je viendrais à mourir, que je n'avais pas vécu ». Cette phrase, j'avais douze ou treize ans lorsqu'elle a résonné en moi pour la première. J'étais allée au cinéma avec mes parents voir le film « Le cercle des poètes disparus » dans lequel, elle est citée. Pour éviter d'en arriver là, le film avait sa solution, sa devise : Carpe diem. Profite du jour présent. Mais profiter de quoi ? Je ne voyais pas une seule chose dans ma vie dont j'aurais pu tirer profit. Ce film, alors que je ne tenais pas à le voir, m'a donné une claque en plein visage, me faisant prendre conscience de l'état de mon existence. Je vivais dans un futur hypothétique alors qu'il prônait de se réjouir surtout du présent. Ne pouvait y parvenir, que pouvais-je faire ? Serais-je un jour amenée à accomplir le même geste que l'un des protagonistes qui lorsqu'il comprend que son présent ne pourra jamais être en adéquation avec l'avenir dont il rêve et la personne qu'il est vraiment, préfère en finir ?
Depuis ce jour, cette question, je me la pose régulièrement et au fil du temps, elle est même revenue de plus en plus fréquemment et aujourd'hui, il n'est pas un soir où je m'endors sans me l'être posée. Pourtant, à quoi bon se poser une question dont on connaît depuis toujours la réponse ? Peut-être parce que celle-ci nous fait mal. Il parait qu'on devient adulte lorsqu'on fait le deuil des rêves impossibles et irréalisables de notre enfance et de notre adolescence. Si c'est le cas, je crois que j'ai été adulte il y a bien longtemps car on fond de moi, j'ai toujours eu la certitude que je ne serais jamais cette femme normale, cette madame tout le monde dont j'avais rêvé. La question que je me pose à présent quotidiennement c'est « Combien de temps encore me poserais-je une question dont je connais douloureusement la réponse ? ».
Fin