Fiction parue dans le fanzine n°2
Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Robin Green et Mitchell Burgess. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
OS basé sur l’épisode
Uniformes de la saison 2, durant lesquels Franck a des insomnies.
Insomnies
Les insomnies….
Il les connaissait depuis bien longtemps, elles étaient ses compagnes depuis son engagement dans les marines. Elles venaient et repartaient au gré de ses soucis, de ses préoccupations, de ses cauchemars.
Il en avait tant vu : des camarades tombés, des collègues basculant du mauvais côté, des pères devenant meurtriers, des fils sombrant dans la drogue…
Mais il avait eu Mary à ses côtés, Mary qui apaisait ses angoisses et calmait sa peur, Mary qui avait toujours la bonne réponse à toutes les questions.
Avec elle les insomnies étaient moins fréquentes : bien sûr elles étaient toujours là, récurrentes, mais elles lui laissaient de longues périodes de nuits tranquilles où il pouvait réparer ses forces.
Il y avait eu le premier septembre et toutes ces nuits à se demander pourquoi eux et pas lui ? Pourquoi était-il encore debout quand tant d’autres, qui valaient mieux que lui, étaient tombés, sur le moment ou au fil des années, les poumons corrodés par la poussière noire.
Puis il y avait eu la mort de Mary et ces trop longues veillées nocturnes à essayer de refaire le monde, un autre monde, où elle aurait toujours été là, où on aurait découvert un remède contre cette saloperie de cancer…
Ensuite… Ensuite le monde s’était écroulé… Jo à son tour était tombé et il avait su que plus jamais il ne pourrait dormir tranquille. Jusque là, bêtement, il s’était aveuglé, il avait voulu croire, malgré tout ce qu’il savait, que ses enfants seraient épargnés, que la fatalité se détournerait de sa famille. Mais soudain ses yeux se décillaient et il avait compris que rien n’est jamais sûr, rien n’est jamais acquis. Cet enfant qu’il avait mis au monde, cet enfant dont il était si fier, ce gamin qui courait dans le jardin, ce jeune homme qui souriait à la vie, ce flic honnête, ce fils chéri, il reposait désormais auprès de sa mère et de sa grand-mère et le trou béant que sa disparition avait creusé en son cœur, rien ne le comblerait jamais.
Et depuis les insomnies étaient revenues, plus ou moins longues, plus ou moins fréquentes… Mais elles étaient là, fidèles compagnes de ses inquiétudes, de ses regrets, de ses remords.
En ce moment, c’était à Jamie qu’il songeait… Jamie, leur petit dernier, la fierté de sa mère, celui dont elle avait juré qu’il ne rejoindrait pas « l’entreprise familiale ».
Il l’avait si longtemps cru à l’abri des aléas de ce métier : Jamie serait la fierté de la famille, un grand avocat, issu de l’une des meilleures universités du pays ! Certes, il avait anticipé les querelles qui pourraient naître d’avoir un fils avocat, faisant libérer ceux que ses fils flics et sa fille procureur cherchaient à coincer… Mais il avait confiance en l’esprit de famille, dans les liens qui unissaient chaque membre de la tribu. Quoi qu’il se passe, jamais ses enfants ne se dresseraient l’un contre l’autre.
Seulement Jo était mort et Jamie s’était cru obligé de prendre la relève. Bien sûr, il ne l’avait pas présenté ainsi, mais Franck avait l’impression que son fils s’était sacrifié pour lui, pour mettre un peu de baume sur sa blessure à vif, pour qu’il puisse toujours avoir deux fils policiers pour perpétuer la tradition familiale.
Et lors de ses insomnies, Franck Reagan pensait qu’il n’était pas un bon père. S’il l’avait été, il aurait tout fait pour empêcher Jamie de s’engager à son tour dans la police, d’aller risquer sa vie dans les rues d’une ville qui ressemblait parfois à une jungle. S’il avait été fidèle à son épouse, il aurait intimé l’ordre à leur garçon de rester dans la voie tracée, celle d’un métier qui le mettrait à l’abri des balles et du besoin en lui permettant de gagner sa vie bien mieux qu’aucun d’eux ne l’avait jamais fait.
Pourtant il n’avait rien tenté : oh bien sûr, ils avaient eu une conversation à cœur ouvert, de père à fils, durant laquelle il avait mis le jeune homme en face de ses responsabilités, en face du destin qui l’attendait et des difficultés qu’il rencontrerait à être diplômé d’une grande école d’une part et fils du chef de la police de l’autre. Mais Jamie n’avait rien voulu entendre, aussi buté que le reste de la famille, campant sur ses positions. Alors il n’avait pas insisté.
Aujourd’hui il se demandait si son manque de pugnacité était lié au fait d’accepter le choix de vie de son fils ou plutôt cette fierté mal placée d’avoir un autre enfant qui faisait le choix de défendre et de protéger, en dépit de tout ce qu’il savait, en dépit du danger qu’il courait, en dépit des désirs de Mary.
Désormais Jamie était flic et lors de ses insomnies, passaient et repassaient dans sa tête tout ce qu’il aurait pu, aurait dû dire pour le dissuader de suivre cette route. Depuis qu’il était infiltré, c’était encore pire. Son fils n’était qu’un bleu ! Il avait pu approcher les Sanfino par simple coïncidence, cela était loin de faire de lui un crack capable de faire tomber un gang aussi puissant ! Là encore il aurait dû le dissuader d’accepter la proposition, mais pris entre son rôle de chef de la police et son inquiétude de père, entre le marteau et l’enclume, sa bataille n’avait été que d’arrière garde.
Alors non, Franck Reagan ne dormait plus, parce que lorsqu’il fermait les yeux, il voyait ses fils tomber sous les coups des malfrats, Jamie être torturé et exécuté par des mafieux, Danny recevoir une balle en pleine tête…. Il se voyait suivre leurs cercueils jusqu’au carré de terre où reposaient sa mère, Mary et Jo. Il voyait le doux visage de son épouse l’accuser de n’avoir pas su protéger leurs enfants…
Il ne dormait plus parce que le sommeil était devenu son ennemi. Et il passait ses nuits à s’interroger pour savoir ce qu’il aurait dû faire mieux ou autrement…
Jamie surtout occupait ses pensées parce que plus il songeait à son plus jeune, plus il avait l’impression de l’avoir trahi, de n’avoir pas su trouver les mots pour le persuader de suivre la voie qu’il s’était d’abord tracée, d’avoir répondu à son propre besoin sans considérer celui de son enfant. En fait, il n’avait pas vraiment compris le choix de son fils, il l’avait juste accepté, comme une fatalité, ou une bénédiction, comme une réponse à la peine qui le crucifiait à ce moment-là.
*****
Ils étaient tous les deux dans la cuisine, en train de finir de ranger la vaisselle de leur déjeuner dominical. Ils avaient parlé d’Erin et de son job de serveuse. Soudain Jamie regarda son père droit dans les yeux et déclara :
- Je suis pas entré dans la police à cause de Jo, ni pour l’argent, ça ça va de soi.
- Alors pourquoi ?
- En grandissant j’ai toujours eu l’impression que vous ne faisiez pas votre boulot simplement par devoir mais pour le boulot en lui-même : les histoires que vous viviez, les aventures, les comédies, les tragédies…. Aller travailler tous les jours avec le sentiment que tout peut arriver et qu’on sera pris au beau milieu, pour changer les choses et faire partie d’une corporation vieille de plus de 300 ans.
Il n’y avait rien à répondre à cela. Rien. Jamie avait fait son choix : le choix d’une vie difficile mais qui lui convenait. Et si son choix avait répondu au souhait secret de son père, celui-ci n’y était pour rien. Son petit garçon était un homme maintenant et il s’était engagé en tout état de cause.
Ce soir, Franck Reagan allait enfin pouvoir dormir tranquille.
FIN